Petite ode à la lenteur thérapeutique

par | Juil 16, 2025 | Thérapie par le REL | 0 commentaires

Nécessité d’une ode à la lenteur thérapeutique ?

Nous sommes dans une époque énormément impactée par la rapidité et l’immédiateté. Le temps, et particulièrement notre temps de cerveau disponible, est devenu une denrée rare que s’arrachent les différents acteurs de notre société.

L’impact d’une telle conception du temps est considérable, sur nos organismes, comme sur la nature.

On retrouve malheureusement un tel impact négatif dans le domaine de la psychothérapie, où il est désormais postulé comme une demande juste (et parfois non négociable) d’avoir des résultats rapides.

Sur les réseaux sociaux, il y a une abondance de promesses faites pour une transformation rapide de notre vie, des comportements qui nous nuisent…

Pourtant, le temps d’intégration de changements profonds est une donnée que nous ne maîtrisons pas avec notre mental désirant.

La guérison psychique, le changement profond et la transformation intérieure obéissent à un autre rythme, souvent plus lent, plus subtil, et exigeant une patience attentive.

Notre vrai rythme, celui qui fut perturbé, parfois dès le ventre de notre mère, s’oppose à cette forme de maltraitance temporelle que les sociétés modernes ont engendrée..

Un rythme gravé au plus profond de notre être et qui ne se dévoile que par une démarche de découverte de nous-même.

Le temps est et demeure une composante essentielle et parfois reléguée de la thérapie. C’est une donnée qui se vit subjectivement (I) – tant chez le consultant que chez le thérapeute -, ce qui n’est pas sans véhiculer sa somme de complexité avec laquelle nous devons composer dans nos cabinets.

Les découvertes de ces dernières années en neuroscience et le mouvement contemporain de « décolonisation de la psychologie » ont mis en lumière des perspectives critiques qui font d’elles un incontournable apport au renouvellement de la compréhension de ce phénomène.(II)

Mais la temporalité comporte également son lot de limites que l’on ne peut laisser de côté (III).

ode à la lenteur thérapeutique

I. Le temps subjectif en psychothérapie

Un petit détour par la théorie n’est jamais inutile pour comprendre d’où nous venons et ce qui nous a fondé. Nous verrons ainsi que, très tôt, la question du rythme thérapeutique, de la patience et de la lenteur nécessitée par le temps d’intégration du patient, ont été abordées par les précurseurs de divers courants thérapeutiques. Quant à Georges Romey, dont la clinique débute dans les années 80, il a consacré d’importants développements sur le temps chez le patient en cure de rêve éveillé libre.

1/ Les fondements théoriques

Les grandes figures de la psychanalyse et de la psychothérapie humaniste ont compris que le temps ne se réduit pas à une mesure chronologique, mais qu’il s’inscrit profondément dans l’expérience vécue du sujet.

Freud, en évoquant le travail psychique de perlaboration, a montré que les souvenirs et émotions doivent être revisités à plusieurs reprises, sur la durée, pour s’intégrer.

«  On doit laisser au malade le temps de se plonger dans la résistance qui lui est inconnue, de la perlaborer, de la surmonter tandis que, défiant la résistance, il poursuit le travail selon la règle fondamentale de l’analyse. C’est seulement au paroxysme de cette résistance que l’on découvre alors dans un travail commun avec l’analysé les motions pulsionnelles refoulées qui alimentent celle-ci, le patient se convainquant de l’existence et de la puissance de ces motions en vivant une telle expérience. Le médecin n’a alors rien d’autre à faire que d’attendre et de laisser s’accomplir un déroulement qui ne peut être évité et qui ne peut pas toujours non plus être accéléré. »

Hans Loewald a ensuite approfondi cette idée en parlant d’un temps subjectif propre au développement psychique, distinct du temps linéaire. « Lorsque nous considérons le temps en tant que psychanalystes, le concept de temps comme durée, objectivement observé ou subjectivement vécu, perd beaucoup de sa pertinence. Dans la vie psychique, nous percevons le temps principalement comme une activité de liaison où ce que nous appelons passé, présent et futur forment un lien. Ces termes, passé, présent et futur, ne prennent sens que dans le contexte d’un tel lien.

Ce lien n’est pas tant une succession qu’une interaction. Passé, présent et futur se présentent dans la vie psychique non pas comme précédant ou suivant l’autre, mais comme des modes de temps qui se déterminent et se façonnent mutuellement, qui se différencient et articulent un pur maintenant. Il n’y a pas d’irréversibilité sur un continuum linéaire, comme dans le concept courant du temps comme succession, mais une relation réciproque où un mode de temps ne peut être vécu ou pensé sans l’autre et où ils se modifient continuellement.

Cette réintégration du passé modifie à son tour la relation présente avec l’analyste (et bien sûr avec d’autres personnes) et a une incidence sur le futur envisagé. La modification du passé par le présent ne modifie pas « ce qui s’est objectivement produit dans le passé », mais elle modifie ce passé que le patient porte en lui comme son histoire vivante. »

Jacques Lacan, quant à lui, dans un texte dense et complexe, Le temps logique et l’assertion de certitude anticipée propose une réflexion originale sur le temps subjectif en s’appuyant sur un problème logique posé comme un syllogisme : trois prisonniers tentent de déduire la couleur du disque qu’ils portent dans le dos ce qui permet de mettre en lumière que la compréhension ne se produit pas dans un éclair d’intuition, mais dans un temps structuré en trois étapes : un instant du regard, un temps pour comprendre, puis un moment de conclure.

Il démontre ainsi que le sujet n’avance pas en ligne droite vers la vérité. Il hésite, observe les autres, se mesure à l’attente, puis pose un acte qui, parfois, précède la pleine certitude.

James Bugental, dans son approche existentialiste-humaniste, introduit la notion de living moment — ce moment vécu pleinement, ici et maintenant, qui respecte le rythme singulier du patient et ouvre un espace de présence authentique entre patient et thérapeute. Irvin Yalom, quant à lui, met en lumière la conscience de la finitude et du temps limité qui nous est imparti, transformant la relation au temps et à la vie.

2/ Le rythme thérapeutique : patience, lenteur et intégration

Chaque patient porte en lui un rythme propre, un tempo interne qui doit être respecté pour que la thérapie porte ses fruits.

William Bion, dans « Learning from experience », a souligné l’importance du « temps pour penser », ce laps nécessaire pour que l’expérience vécue se transforme en pensée, en compréhension et en changement. Dans sa théorie, Bion met en avant le fait que l’expérience brute — ce qu’il appelle les éléments bêta — ne se transforme pas automatiquement en pensée. Ces éléments non digérés doivent passer par un processus de transformation pour devenir des éléments alpha, c’est-à-dire des éléments psychiques utilisables par l’appareil à penser. Et ce processus suppose du temps, de la contenance, et un espace psychique protégé.

Il ne s’agit donc pas seulement d’ »avoir une pensée », mais de pouvoir penser une expérience, de la rendre pensable. Et cela demande du temps subjectif, parfois même du silence, de la rêverie, de la symbolisation — c’est-à-dire tout ce que notre monde pressé tend à négliger.

Dans la relation thérapeutique, ce « temps pour penser » est souvent rendu possible par la présence contenante du thérapeute, qui ne plaque pas tout de suite une interprétation, mais laisse le patient faire l’expérience de son expérience, à son rythme.

Plus largement, dans nos vies, nous avons tendance à enchaîner les expériences sans les digérer. Ce que propose Bion, c’est une écologie de l’esprit : ralentir pour laisser venir une compréhension, une élaboration, voire une transformation.

Ce temps d’intégration n’est ni linéaire ni immédiat : il peut être silencieux, latent, et révéler sa puissance dans la durée.

Le changement intérieur ne se décrète pas d’un coup. Il suit un rythme propre, souvent fait de lenteurs, d’oscillations, de moments d’arrêt ; de régression puis de progression.

3/ Georges Romey : l’ultime respect du temps dans le rêve éveillé libre

Georges Romey, dans son œuvre absolument innovante, a mis en lumière plusieurs réflexions qui intéressent la question du temps dans la thérapie.

Dans un premier temps, le rêve éveillé libre illustre parfaitement cette progression en régression/progression. Lorsque nous prenons en note le rêve éveillé d’un patient, nous pouvons suivre le cheminement de l’influx nerveux dans les groupes neuronaux, une dynamique souvent faite de régression et de progression qui nous sont indiquées par certains symboles. Ainsi, par exemple, le bébé peut intervenir comme un symbole de régression dans certains contextes.

Bien plus, certains symboles vont nous mettre sur la piste d’une temporalité particulière, liés à une régression ; il en va ainsi lorsque le rêve nous montre des engrammes reliés au temps utérin, mais aussi très précisément lorsque nous étions encore plongés dans le temps indifférencié, ou encore lorsque le temps compté a fait irruption dans ce monde.

C’est une subtilité extrêmement fine qui nous est permise par la thérapie par le rêve éveillé libre et qu’une maxime bien connue des praticiens de cette thérapie a formulé ainsi : « Pas de projets pour le patient ».

D’ailleurs, au cours d’une cure, la conception du temps du rêveur ou de la rêveuse évolue sous l’effet de plusieurs éléments : le lâcher-prise sur les réflexes de compétitions, la relativisation de certains objectifs au profit des valeurs de l’être, le rééquilibrage des aspects physiques, émotionnels, mentaux et existentiels chez le patient… tout autant de facteurs qui impriment une distorsion sur la perception du temps par chacun de nous.

Enfin, par la stimulation de réseaux neuronaux fragilisés par les aléas du vécu, il ouvre des voies de reprogrammation et de transformation, mais ce processus nécessite un temps d’assimilation propre à chaque personne.

II. Perspectives contemporaines critiques

Être thérapeute aujourd’hui, c’est ne plus pouvoir faire l’impasse sur certaines études qui éclairent et enrichissent notre pratique. Concernant la question de la temporalité, trois points doivent être envisagés afin de nous questionner sur nos pratiques :

– l’apport des neurosciences, et particulièrement dans ce qu’elles nous aident à comprendre le traumatisme et son temps hors du temps linéaire,

– la question des temporalités dans des cultures différentes,

– la démarche innovante de l’accueil du rythme personnel dans le rêve éveillé libre.

1/ Apports des neurosciences à la compréhension du temps en thérapie

La méta-analyse de Jonathan Shedler (2010) montre que les effets profonds de la psychothérapie psychodynamique sont souvent corrélés à des thérapies de moyenne ou longue durée, confirmant l’importance de la patience et du rythme adapté.

On sait aujourd’hui, grâce aux neurosciences du sommeil, que les différentes phases du sommeil jouent un rôle central dans la consolidation des apprentissages, y compris émotionnels. En particulier, le sommeil lent profond (SWS) permet la stabilisation des souvenirs déclaratifs et la migration des traces mnésiques de l’hippocampe vers le cortex, tandis que le sommeil paradoxal (REM) favorise l’intégration émotionnelle et la reconfiguration symbolique des vécus.

Comme le résument Walker et Stickgold : « Le sommeil n’est pas un état passif. Il agit comme un creuset de consolidation, dans lequel le cerveau rejoue, réorganise et intègre l’expérience récente » (Walker & Stickgold, 2006, Annual Review of Psychology).

D’un point de vue thérapeutique, cela signifie que le travail de transformation ne se limite pas au temps de la séance. Ce qui a été évoqué, ressenti ou simplement effleuré en séance a besoin d’un temps d’intégration différée, en dehors de toute élaboration volontaire, notamment au travers du sommeil.

« La mémoire émotionnelle bénéficie particulièrement du sommeil REM, qui permet de diminuer la charge affective associée aux souvenirs, sans pour autant en effacer le contenu » (Diekelmann & Born, 2009). Le temps psychique du changement s’étend donc bien au-delà de la rencontre thérapeutique : il se tisse dans les heures et les jours qui suivent, souvent à notre insu.

Par ailleurs, les études réalisées sur le trauma ont montré que celui-ci fige le temps psychique. Ainsi, Besser van der Kolk dans son livre phare « Le corps n’oublie rien » montre que, non seulement le trauma est une expérience non intégrée qui reste hors du récit de soi, mais que, de surcroît, il peut surgir à tout moment, sans signal d’anticipation, comme une réactivation brutale d’un passé, et ce, en dehors de tout contrôle narratif ou cognitif. Le patient n’a donc, dès lors, pas accès à une temporalité « linéaire ».

Les travaux en neurobiologie (notamment ceux de Stephen Porges et de Peter Levine) montrent que le trauma est stocké dans les circuits sous-corticaux, pré-verbaux. Pour Peter Levine (Levin P., 2019), le système nerveux autonome « gèle » certaines réponses pour échapper à la menace. Tant que ces réponses ne sont pas déchargées corporellement, le système reste « coincé » dans un temps archaïque.

L’élaboration verbale ne suffit donc pas. Il faut parfois passer par des temps corporels, de régulation, d’interoception, où le patient apprend à ressentir et décoder les signaux internes. Ce temps-là ne suit pas la logique rationnelle mais la logique du vivant.

Cela emporte une conséquence majeure pour notre pratique clinique : la prise en compte d’un temps rythmé par le patient.

La relation thérapeutique elle-même devient un espace-temps sécurisé dans lequel peut s’opérer une reconfiguration progressive de l’expérience du temps. Elle devient un ré-encrage dans un temps sécurisant, à rebours de l’urgence et de l’effondrement du temps subjectif propre au trauma.

2/ Adaptation culturelle : temporalités plurielles et respectueuses

La conception occidentale du temps thérapeutique, héritée de la tradition psychanalytique européenne, n’est qu’une modalité parmi d’autres de penser la guérison et la transformation. Une approche véritablement inclusive de la temporalité thérapeutique doit s’ouvrir aux différentes cultures du temps et aux conceptions plurielles de la guérison.

Dans une perspective critique et postcoloniale, Mary Watkins et Helene Shulman (2008) invitent à questionner les temporalités normatives imposées par les systèmes dominants. Elles militent pour des thérapies à rythme respectueux, situées culturellement, où le temps thérapeutique s’adapte aux vécus et aux rythmes des communautés minorées.

Les temporalités circulaires versus linéaires constituent un premier axe de différenciation. Là où la psychothérapie occidentale tend à concevoir le processus thérapeutique comme un parcours linéaire (même sinueux) vers un mieux-être, de nombreuses cultures privilégient une conception cyclique du temps et de la guérison.

C’est le principe, notamment, des roues de médecine issues de traditions culturelles différentes de la nôtre (comme les célèbres roues de médecin de certaines tribus natives américaines), bien que l’Europe de l’ouest ait connue elle aussi ce schémas temporel lors de l’époque celtique, et peut-être même avant.

Dans les traditions africaines, la guérison s’inscrit souvent dans un temps rituel cyclique qui intègre la communauté et les ancêtres. Le « progrès » ne se mesure pas en termes d’avancée individuelle mais de restauration d’équilibres relationnels et cosmiques.

Ces différences ne sont pas qu’anthropologiques : elles ont des implications cliniques directes. Un patient issu d’une culture à temporalité cyclique peut vivre les « rechutes » ou les « répétitions » non comme des échecs thérapeutiques mais comme des passages nécessaires dans un processus de guérison plus large. Respecter cette conception implique d’adapter les critères d’évaluation et d’accepter des rythmes qui peuvent sembler « régressifs » selon les standards occidentaux.

L’intégration communautaire du temps thérapeutique constitue un autre défi, davantage peut-être que le premier point qui se révèle attractif pour nombre de nos contemporains. Dans de nombreuses cultures non-occidentales, la guérison individuelle ne peut se concevoir indépendamment de la guérison communautaire. Le temps thérapeutique s’étend alors bien au-delà du face-à-face thérapeute-patient pour inclure la famille élargie, la communauté, parfois même l’environnement naturel. Cette conception holistique du processus thérapeutique questionne les frontières temporelles habituelles de la psychothérapie occidentale.

Les rituels et marqueurs culturels du changement offrent également des temporalités alternatives. Certaines cultures marquent les transitions et les transformations par des rituels spécifiques qui donnent un rythme particulier au processus de changement. Ces rituels créent des « temps forts » qui ne correspondent pas nécessairement au rythme régulier des séances hebdomadaires. Un thérapeute sensible à ces différences culturelles devra apprendre à identifier et respecter ces moments particuliers, quitte à adapter le cadre thérapeutique habituel. Sommes-nous prêts à cela ?

L’enjeu de la « colonisation temporelle » soulevé par Watkins et Shulman prend ici tout son sens. Imposer une temporalité thérapeutique standardisée peut constituer une forme subtile de violence culturelle, niant les rythmes propres à certaines communautés. Cela est particulièrement problématique avec les populations migrantes ou minoritaires, qui peuvent vivre cette imposition comme une double peine : non seulement leurs souffrances ne sont pas entendues, mais les modalités mêmes de leur prise en charge reproduisent des rapports de domination.

Une pratique culturellement sensible implique donc de développer une « compétence temporelle interculturelle ». Cela passe par la formation des thérapeutes aux différentes conceptions du temps, la mise en place de dispositifs thérapeutiques flexibles, et surtout l’établissement d’un dialogue authentique avec le patient sur ses propres références temporelles et culturelles.

Concrètement, cela peut se traduire par des séances à rythme variable, l’intégration d’éléments rituels signifiants pour le patient, la prise en compte des temps forts du calendrier culturel (fêtes, commémorations, saisons sacrées), ou encore l’ouverture à des modalités d’accompagnement qui dépassent le seul cadre de la psychothérapie individuelle.

L’objectif n’est pas de tomber dans un relativisme qui renoncerait à toute structure, mais de développer une « temporalité thérapeutique métissée » qui honore à la fois la profondeur du processus thérapeutique et la richesse des héritages culturels.

Cette approche enrichit non seulement la pratique clinique mais contribue aussi à une décolonisation des savoirs thérapeutiques, ouvrant la voie à des formes de guérison plus inclusives et respectueuses de la diversité humaine.

C’est l’accueil de la richesse de l’humanité plutôt que son cloisonnement dans une approche qui se veut unique et prédominante. De ce point de vue, le rêve éveillé libre, en tant que « temps imaginal », échappe aux logiques linéaires et ouvre à des formes de connaissance par le ressenti, comme dans les temps rituels ou mythologiques.

3/ Accueillir le temps et la lenteur en thérapie par le rêve éveillé libre

Le phénomène de restructuration neuronale, vu plus haut, et mis en exergue par Rainville et al. (1999) est comparable à ce qui se passe dans le rêve éveillé libre ; il exige lui aussi un temps de digestion psychique, confirmant l’importance d’accueillir la lenteur dans le processus thérapeutique.

On sait aussi, toujours grâce aux travaux pionniers de Rainville et al. (1999), que l’état hypnotique modifie la circulation sanguine et l’activité cérébrale dans plusieurs régions clés, favorisant la restructuration neuronale lors d’un temps d’intégration.

Ce que révèlent ces données, c’est qu’un certain état de conscience modifié — qu’il soit induit par l’hypnose ou activé spontanément dans un cadre sécurisant — crée les conditions neurophysiologiques d’un remaniement profond.

À cet égard, le rêve éveillé libre se situe dans une continuité  : il mobilise lui aussi un état de conscience modifié, où l’attention se tourne vers l’intérieur, et où des contenus inconscients peuvent émerger sous forme d’images, de scènes, de symboles. Ce matériau n’est pas simplement expressif : il active des processus de restructuration analogues à ceux observés en hypnose ou en sommeil paradoxal, à condition d’être ensuite accueilli, symbolisé et intégré dans la durée.

Dans cette perspective, le rêve éveillé libre ne se limite pas à une « expérience pendant la séance ». Il ouvre une brèche psychique, une matrice de transformation qui exige, elle aussi, une période d’assimilation. Il est fréquent que des effets subjectifs — émotions, rêves nocturnes, réaménagements intérieurs — apparaissent dans les heures ou les jours qui suivent, témoignant de ce travail silencieux de réorganisation. D’où l’importance, en tant que thérapeute, d’honorer la lenteur, la non-linéarité, et les effets différés que ce type de pratique rend possibles.

Le temps en psychothérapie est bien plus qu’une simple mesure objective. Il est une expérience subjective, un espace à investir avec patience et confiance. La lenteur, loin d’être un frein, est une alliée précieuse, permettant à la transformation intérieure de s’installer durablement.

Repenser la temporalité en thérapie, c’est offrir à chacun le droit et le temps d’un changement profond, respectueux de sa singularité.

Le rêve éveillé libre, avec son rythme propre et sa richesse symbolique, incarne parfaitement cette philosophie.

III. Quand le temps devient un privilège : lenteur, accès et justice thérapeutique

La lenteur est une alliée puissante du processus thérapeutique. Cependant, son accessibilité est-elle évidente à une époque où l’on nous vend de l’immédiateté à chaque instant : pour certains, les contingences financières n’altèrent-elles pas irrémédiablement cet accès ? Enfin, on ne peut pas passer à côté d’une question fondamentale : celle de la différence que nous pouvons poser entre nécessité du temps en thérapie et enlisement thérapeutique.

1/ Le temps, un luxe ?

On le voit, la question du temps comprend de multiples implications et ne peut être balayée d’un coup au nom d’une pseudo rapidité de résultats.

Enfin, et peut-être ultimement, pouvons-nous encore prétendre à prendre ce temps ?

La défense du temps long en psychothérapie se heurte inévitablement aux réalités économiques et aux impératifs de santé publique contemporains. Cette tension n’est pas qu’administrative : elle touche au cœur même de la question de l’accès aux soins psychiques et de la justice thérapeutique.

D’un côté, les systèmes de santé publique, confrontés à des besoins croissants et à des budgets contraints, privilégient naturellement les approches brèves et « evidence-based » dont l’efficacité peut être mesurée rapidement.

Les thérapies cognitivo-comportementales (TCC), par exemple, bénéficient d’un large soutien institutionnel précisément parce qu’elles offrent des protocoles standardisés et des résultats mesurables à court terme. Cette logique n’est pas sans fondement : elle permet de soigner plus de personnes avec les mêmes ressources.

Cependant, cette approche utilitariste risque de créer une médecine à deux vitesses : les thérapies plus longues pour ceux qui peuvent se les offrir, les solutions rapides pour les autres.

Plus problématique encore, elle peut conduire à une forme de violence symbolique où la profondeur du mal-être d’une personne se trouve niée au profit d’une logique de rendement thérapeutique. Il semblerait que nous nous dirigions toujours plus vers cette désagrégation des systèmes de soin pour tous…

Des voies de conciliation devraient être trouvées. Certains troubles, certaines problématiques, certains moments de l’existence appellent effectivement des interventions brèves et ciblées. D’autres nécessitent un accompagnement au long cours.

Une société véritablement axée sur le respect de la vie et de la personne devraient permettre l’accès à un ensemble de solutions : consultations ponctuelles, thérapies brèves pour des symptômes spécifiques, et processus longs pour les restructurations profondes.

Elle devrait aussi passer par une diversification des modalités d’accompagnement : groupes thérapeutiques, ateliers d’expression, dispositifs communautaires, ou encore consultation individuelle.

Le développement des personnes, leur permettre d’accéder à des soins de qualité, est tout aussi important que de leur permettre d’avoir un toit sur la tête et une nourriture de qualité dans les assiettes. Ce n’est pas un luxe, mais un minimum vital pour tout être humain. Le véritable progrès, dans une société donnée, est de permettre à chaque personne d’accéder à ce minimum vital.

 2/ Critères de différenciation : distinguer lenteur féconde et enlisement

Si la lenteur peut être thérapeutique, est-elle pour autant toujours bénéfique ? Comment distinguer une « lenteur féconde » d’une stagnation ou d’une résistance qui fait obstacle au processus ? Cette question est cruciale pour les praticiens comme pour les patients, qui peuvent légitimement s’interroger sur l’évolution de leur thérapie.

On sait qu’une lenteur thérapeutique féconde va se caractériser généralement par plusieurs indicateurs subtils mais observables. Elle s’accompagne d’une forme d’activité psychique souterraine : le patient évoque des rêves plus riches, des associations d’idées inattendues, des prises de conscience qui émergent entre les séances ; il participe de plus en plus activement à sa cure.

Même si les changements comportementaux ne sont pas immédiatement visibles, on observe une complexification de la réflexion, une nuance croissante dans l’appréhension de soi et des autres. Cette lenteur respire : elle est vivante, mouvante, même si imperceptible.

Le patient lui-même, malgré parfois son impatience, ressent généralement que « quelque chose travaille » en lui. Il peut exprimer cette intuition par des métaphores évocatrices : « C’est comme si quelque chose bougeait en profondeur », « Je sens que ça remue sans que je puisse mettre le doigt dessus ». Cette lenteur s’accompagne souvent d’une forme de confiance dans le processus, même teintée d’interrogations.

A l’inverse, l‘enlisement pathologique va-t-il se manifester par une certaine immobilité ? Les séances vont se répéter sans variation notable, sans approfondissement ni ouverture de perspectives nouvelles. Le patient peut exprimer un sentiment de piétinement et, du côté du thérapeute, l’enlisement sera-t-il ressenti par un sentiment d’ennui, de répétition, ou au contraire par une anxiété face à l’immobilité du processus ?

Combien de temps cet état doit-il durer pour que l’enlisement soit constaté ? Les mécanismes de défenses peuvent ressembler à de l’enlisement, mais servent en réalité une fonction protectrice importante. Un patient peut avoir besoin de « rester sur place » pour consolider des acquis fragiles ou pour se préparer à aborder des zones plus sensibles. Dans ce cas, respecter cette résistance fait partie du processus thérapeutique.

Toute la question est de sentir si cette résistance est une défense nécessaire ou un évitement problématique.

Au cas par cas, la supervision clinique, et surtout l’écoute fine de la qualité de la relation thérapeutique elle-même basée notamment sur l’expérience du thérapeute de son propre cheminement thérapeutique peut devenir un véritable baromètre du processus en cours. Avoir soi-même expérimenté une cure permet de baliser les cheminements de ses patients, d’être bien moins désarmés face à ce qu’ils traversent, et, peut-être, de continuer de croire en leur potentialités thérapeutiques.

3/ Le temps vécu : un enjeu existentiel et relationnel

Le temps, en psychothérapie, ne se réduit pas à une donnée logistique ou à un indicateur de progrès. Il est un vecteur d’expérience existentielle, un terrain intime où se rejouent les blessures, les attentes et les espoirs les plus profonds du patient.

Pour certains, le temps a été interrompu par un traumatisme ; pour d’autres, il s’est figé dans la répétition ; chez d’autres encore, il est devenu un flot continu sans ancrage possible.

Nombreux sont ceux qui viennent en thérapie avec un rapport douloureux au temps : celui qu’on a perdu, qu’on ne rattrapera pas, celui dont on n’a pas su profiter, celui qui s’écoule trop vite ou trop lentement.

Ce vécu du temps est rarement verbalisé d’emblée, mais il imprègne les séances : dans l’impatience, dans les silences, dans les retours sur une même scène et, pour nous, en rêve éveillé libre, par les symboles exprimés.

Accueillir ce vécu, c’est offrir un espace où le patient peut rééprouver le temps autrement et différemment du temps normatif imposé par une société qui ne lui laisse plus ce rôle.

Du côté du thérapeute, cela suppose une posture de disponibilité : non pas seulement une gestion du temps, mais un art de la présence dans le temps. Cela suppose, dès lors, d’avoir apprivoisé sa propre temporalité, d’avoir traversé, dans sa propre cure, l’expérience de celle-ci, de ses ruptures et de ses restaurations, entre éternité et fragmentation (Loewald, H. W., 1980)

Le temps thérapeutique est donc aussi un temps d’être.

Comme nous l’avons vu, dans l’approche contemporaine du trauma, le corps apparaît comme un témoin direct du rapport au temps. Lorsqu’un événement dépasse les capacités d’intégration psychique, il ne s’inscrit pas dans une temporalité narrative fluide : il se fige dans le corps, dans un état de sidération ou d’hyperactivation, souvent en dehors de la conscience.

Pour Peter Levine (Somatic Experiencing), le système nerveux autonome peut rester « coincé » dans une réponse archaïque de fuite, de lutte ou de figement, empêchant tout déroulement temporel intérieur. Pat Ogden (psychothérapie sensorimotrice) souligne que ces états corporels interrompent le lien entre sensations, affects et élaboration cognitive, créant une dissociation dans l’expérience du temps vécu.

Ainsi, le temps n’est pas seulement un vécu psychique : il est aussi une posture somatique, une manière d’habiter (ou non) le mouvement, la respiration, la rythmicité.

Dans le rêve éveillé libre, la reprise d’un contact subtil avec le corps permet de « dégeler » la temporalité traumatique. Le patient ne reconstitue pas une ligne du temps, il retrouve un rythme intérieur, souvent au travers d’images, de sensations ou de symboles qui disent ce que les mots n’ont pu porter.

À cet égard, le rêve éveillé libre est un précieux révélateur du rapport subjectif au temps. Parce qu’il immerge la personne dans une temporalité intérieure non linéaire — faite d’images, de retours, de ruptures et d’inattendus — il permet d’explorer, de ressentir et de réparer ce rapport intime au temps vécu.

Dans un cadre sécurisé, l’imaginaire se remet à circuler, à inventer, à réinscrire des événements dans une trame narrative plus fluide. Ce processus peut réconcilier la personne avec une part d’elle-même longtemps figée ou précipitée. Le rêve éveillé libre devient alors non seulement un espace symbolique, mais un lieu de réappropriation existentielle du temps.

Pour illustrer ceci et conclure, je vous laisse avec une citation un peu longue (mais on ne compte pas lorsqu’il s’agit de plaisir!) de Georges Romey :

« Au fil de centaines de millénaires, le dispositif cérébral s’est progressivement structuré jusqu’à permettre à l’homme la réflexion philosophique complexe et la prodigieuse faculté de conception technique. Cependant, le raisonnement spéculatif et l’intelligence rationnelle, aussi loin qu’ils soient conduits, demeurent impuissants à sortir des limites qui leur fut assignées. Personne ne peut dire d’où jaillit l’élan de vie, d’où vient que le brin d’herbe fauché est obstinément remplacé par une nouvelle pousse.

D’où vient, aussi, que chaque être vivant, humain, animal ou végétal, assure la transmission des caractéristiques de son espèce par une profusion de graines. La science pénètre de façon toujours plus précise les mécanismes physico-chimiques qui rendent compte de ces phénomènes mais elle ignore le sens de la vie !

L’esprit le mieux assuré se sent pris de vertige quand de savants astronomes lui apprennent qu’ils ont mesuré la distance qui nous sépare de la source lumineuse la plus lointaine perceptible aujourd’hui : quinze milliards d’années-lumière ! Une source lumineuse dix mille fois plus puissante que la somme de lumière produite par toutes les étoiles de notre galaxie !

La science veut rapprocher l’homme des mystères de la vie, de l’éternité, de l’infini, du devenir, en fait elle l’en éloigne. Les hommes ne cessent d’investir leurs énergies dans ce qui peut leur faire oublier ce dont ils ont peur : les limites infranchissables de leur compréhension. L’incertain engendre le besoin de repères. L’effroi devant l’insondable éternité provoque le besoin de mesure du temps, de compter le temps. L’effroi devant l’infini génère le besoin de mesurer, de compartimenter l’espace. Insoumis à la comparaison, toujours plus grand que lui-même, l’infini est un non lieu.

Affronter l’infini et l’éternité par le raisonnement ne peut conduire qu’à des impasses. Bien avant la formulation de la relativité simple et de la relativité générale, le rêve s’est affranchi des repères d’espace et de temps. C’est précisément cette liberté qui le caractérise. Ce que j’ai appelé, dans le Dictionnaire de la symbolique, la relativité impertinente propose un chemin de délivrance à ceux dont l’esprit s’est emprisonné dans les labyrinthes du mental. L’infini, dans la dynamique du rêve, n’est plus une notion abstraite. Il y a donne à vivre une expérience.

Être, c’est devenir et devenir, c’est accepter d’aller vers ce qui, de soi, est encore inconnu. La vie consiste à s’éloigner de l’ancrage virtuel au ventre maternel pour aller vers une destination virtuelle et imprévisible. Quand l’imaginaire emporte le rêveur dans l’infini, ce n’est pas pour le perdre dans un univers sans horizon. C’est pour dissiper sa peur du devenir. Vivre l’infini et l’éternité, c’est se remettre en harmonie avec le mystère. Se distinguer de l’origine, accepter de devenir ce qu’on ignore encore de soi et revenir, grandi, dans le monde quotidien, voilà ce que propose l’expérience onirique de l’infini et de l’éternité. »

Bibliographie sélective

Bugental, J. F. T. (1978). Psychotherapy and Process: The Fundamentals of an Existential-Humanistic Approach. McGraw-Hill.

Bion, W. R. (1962). Learning from Experience. Heinemann.

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