Obligation de thérapie du thérapeute ?
Psychologue, oui… mais sans jamais avoir fait une thérapie ?
Les psychologues sortent de l’université avec un Bac +5 en psychologie, un titre reconnu par l’État et délibérément privilégié… Leur plaque posée, ils peuvent ouvrir leur cabinet et y recevoir une patientelle.
Et pourtant… ils n’ont aucune obligation de traverser ce par quoi ils vont faire traverser leurs patients ! Aucune obligation ne leur est imposé à s’investir dans une cure personnelle.
Il en est d’ailleurs de même pour les médecins psychiatres, formés à la prescription des molécules, et ce, de manière très savante, (ce dont je ne remets pas en cause la nécessité), mais ils ne sont pas formés pas à prendre une personne en cure de psychothérapie.
Jusqu’où s’entend le mot « thérapeute » chez de tels professionnels ?
C’est quelque chose qui ne cesse de m’interroger et de me troubler, tant de par mon ancienne vie formée au droit que par présente pratique thérapeutique : si ces professionnels le souhaitent, jamais ils ne se sont confrontés à l’expérience intime du délitement, du chaos intérieur, de ces instants où plus rien ne tient debout, si ce n’est la présence ténue d’un thérapeute qui a humainement déjà accompli ce bout chemin…
Cela peut surprendre. Et pourtant, c’est la réalité d’un système universitaire qui forme d’excellents techniciens de la psyché (ou de la chimie)… sans jamais leur demander de vivre ce qu’ils s’apprêtent à accueillir chez l’autre. Or, la distance entre la théorie et la pratique peut-être aussi grande que la distance géographique entre les deux pôles de notre terre…
Un paradoxe que nous sommes nombreux à interroger avec sérieux et responsabilité en cercle privé, car ce n’est pas forcément une vérité que l’on a envie de dire tout haut…
1. Le paradoxe universitaire : le titre sans l’obligation de thérapie
Le titre de psychologue est protégé par la loi : il ne peut être utilisé que par des personnes titulaires d’un master universitaire en psychologie (un bac + 5). Ce cadre réglementaire vise à garantir la qualité de la formation et la protection du public. C’est une bonne chose… en théorie, sur le papier.
Ce Master garantie un certain nombre d’heures d’étude de certains grands courants de psychologie, le plus souvent celle de Freud et celle de Lacan.
Mais ce que le grand public ignore souvent, c’est que, à aucun moment de ce cursus, il n’est exigé du futur psychologue qu’il réalise un travail thérapeutique personnel. Autrement dit, on peut devenir psychologue sans jamais avoir mis les pieds dans un cabinet de psychothérapie — autrement qu’en tant qu’observateur ou stagiaire.
Que savent-ils, dès lors, des affres dans lesquels un travail en profondeur peut nous plonger lorsque tout ce sur quoi nous avions bâti notre vie est en train de s’effondrer ?
Lorsque vous cherchez un psychologue pour commencer une thérapie, vous êtes en droit d’exiger des gages de confiance et de sérieux : à savoir, que cette personne ait elle-même réalisé une cure, et soit aussi supervisée (ce qui n’est pas non plus une obligations requise chez les psychologues ».
Aucune obligation de thérapie… Sérieux ?
2. La posture de thérapeute : un savoir-être, pas seulement un savoir-faire
Être thérapeute ne consiste pas seulement à appliquer des techniques. C’est avant tout une posture intérieure. Une capacité à se rendre disponible, à accueillir sans jugement, à sentir ce qui se joue — parfois au-delà des mots. Sentir ce qui se joue chez la personne qui place sa vie entre nos mains, mais aussi ce qui se passe dans l’écho que ses paroles ou comportements provoquent en nous.
Mais comment être présent à l’autre, dans ses zones de turbulence, si l’on n’a jamais exploré les siennes ? Comment accompagner un processus de transformation si l’on ne sait pas, de l’intérieur, ce que cela implique ? Comment accueillir la personne dans son être si l’on n’a pas travaillé sur ses propres biais ? Et il y en a beaucoup…
La neutralité bienveillante, la capacité d’écoute profonde, l’attention au transfert et au contre-transfert : tout cela ne s’apprend pas uniquement dans les livres. Cela s’éprouve, dans le corps, dans le coeur et dans l’âme, au fil d’un travail intérieur soutenu, et ce durant des années.
3. L’expérience de la cure : connaître sa psyché pour mieux accompagner
Faire une thérapie, ce n’est pas seulement “régler ses problèmes”. C’est se confronter à ses mécanismes de défenses et ses résistances au changement, à ses complexes (je pense notamment aux complexes maternel et paternel), à ses peurs, à ses incohérences, à son ombre… mais aussi à sa lumière.
C’est vivre ce moment vertigineux où le moi vacille, où les repères s’effondrent, où le sens se cherche dans l’obscurité, et parfois longuement.
C’est aussi découvrir, petit à petit, que quelque chose en soi peut tenir debout autrement, se construit, différemment, grâce à tout cet investissement. C’est découvrir en nous la magie de l’élan vital et, parfois, simplement contempler son oeuvre, sans plus y mettre de mentalisation. Juste en laissant faire la vie.
Cette traversée transforme profondément la posture du thérapeute. Elle donne de la densité, de la présence, de l’humilité, de l’accueil. Elle évite l’illusion de toute-puissance, et permet de rester à sa juste place : celle d’un accompagnant, pas d’un sachant. C’est cela qui justifierait l’obligation de thérapie.
4. Dans notre école, l’ADREL : c’est une exigence éthique
À l’ADREL, où j’ai été formée et continue de me former au rêve éveillé libre, la pratique repose sur un engagement clair : tout praticien doit avoir réalisé une cure personnelle, au long cours. Nous sommes soumis à l’obligation d’une thérapie personnelle et d’une supervision. Nous adhérons tant au code de déontologie de l’ADREL qu’à celui de la FF2P (Fédération Française de Psychothérapie et de Psychanalyse), dont l’article 2c dispose : « Les praticiens de la psychothérapie reconnaissent la nécessité du travail sur soi, de la supervision et de la formation continue, et sont ouverts à de nouvelles procédures et à l’évolution des attentes et des valeurs sociétales. ».
Cette exigence d’obligation de thérapie n’est pas un caprice, ni un rite de passage. C’est une condition éthique minimale pour s’installer en tant que thérapeute.
Avec les psychanalystes qui sont soumis eux aussi à cette obligation de thérapie personnelle, nous sommes une des quelques écoles à avoir cette exigence éthique parce que la responsabilité de recevoir des personnes en thérapie est énorme.
Nous savons que la parole peut soigner, mais aussi blesser. Nous savons aussi que la relation thérapeutique est un espace sacré, où l’intime est mis à nu. Accompagner quelqu’un dans ses propres profondeurs demande de s’être soi-même confronté à ces zones sensibles. Et cela, nous ne le trahissons pas.
5. Et pour les patients ? Comment choisir son thérapeute ?
Aujourd’hui, les patients sont souvent désorientés. Ils font confiance au titre de “psychologue”, pensant qu’il garantit un savoir-être thérapeutique. Malheureusement, ce n’est pas toujours le cas.
Selon la qualité de l’engagement du psychologue en question, il se lancera dans une cure personnelle et dans une supervision, mais c’est à son bon vouloir.
Sachant désormais que l’obligation de thérapie n’est pas une condition sine qua non à l’obtention de leur diplôme et à l’ouverture d’un cabinet de psychothérapie, que pouvez-vous faire ?
Si vous cherchez un thérapeute, n’hésitez pas à poser des questions. A-t-il ou elle fait une thérapie personnelle ? Est-il supervisé dans sa pratique ? À quelle école ou courant appartient-il ? Comment parle-t-il de la relation thérapeutique ?
Vous êtes en droit d’exiger d’être accueilli par quelqu’un qui « marche dans ses mots ».
Et enfin et surtout, demandez-vous comment vous sentez-vous en sa présence ?
Le diplôme est important. Mais la qualité de présence l’est plus encore.
Conclusion
Un diplôme donne des compétences. Cependant ce sont les traversées intimes, les doutes et les ombres intégrées qui forgent une posture thérapeutique authentique. Notre formation est importante, mais l’obligation de thérapie à laquelle nous sommes soumise l’est tout autant.
Voici encore une fois ici l’expression d’une société technocratique complètement coupée du vivant.
Dans un monde où la parole se monnaie facilement, faisons le choix de ceux qui, avant d’écouter, ont su plonger. Et s’écouter, eux aussi. C’est ce à quoi je me suis personnellement engagée comme tous les thérapeutes certifiés par l’ADREL, comme mon mari par exemple.
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